«Le muguet rouge»: incendie du coeur
« Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. » Ainsi débute ce recueil posthume d’un grand poète de l’intime, celui d’une parole calme qui rejoint l’essentielle confidence des peines et des joies, les unes aux autres mêlées. Christian Bobin est mort en novembre dernier, nous laissant une oeuvre majeure, mais surtout cette fleur rouge comme un don, comme si nous le connaissions : « Un ami, c’est quelqu’un à qui on fait le cadeau de l’étonner. » Et c’est bien ce qui se produit au fil de la lecture de ces poèmes en prose, sorte de journal déplié au fil du souffle poétique.
« Aller d’une présence subtile à une autre présence subtile pour en extraire une nourriture solaire est un travail d’abeille et de poète. Ce monde détruit les deux. » Alors, il faut veiller, trouver du temps pour rejoindre ceux et celles qui perçoivent L’en dessous l’admirable, comme le disait Jacques Brault. Écrire, pour cela. Donner à voir le geste de la main traduisant ce qui du dedans vers le dehors s’anime.
Ainsi Bobin décrit-il cet acte précieux du geste : « La calligraphie fut inventée au Japon au quatrième siècle d’après les empreintes de pattes d’oiseaux sur le sable d’une plage. Au vingt et unième siècle, le monde travaille à effacer les oiseaux et l’écriture manuscrite — mais partout et toujours sur Terre des petites mains ailées de deux, trois, quatre ans, barbouillent du papier, cassent des craies, peignent sur les murs et les vêtements, “en mettent partout”, écrivent. »
Ainsi, le poète égraine ses passions dispersées au gré de ses textes. Et la musique vient souvent les ponctuer. Il faut lire les pages qu’il consacre à Jacqueline du Pré. Qui a eu la chance de la voir interpréter le concerto no 2 de Dvořák à Montréal, il y a des lustres, repensera avec émoi à « son violoncelle fourré entre ses cuisses, pressé contre sa poitrine [… à] ses robes en étoffe de liserons [qui] dansent autour d’elle quand elle entre en scène. Le violoncelle frémit d’entendre son pas ».
Déjouer la faillite de notre temps semble une tâche à recommencer à jamais pour ce poète des rencontres et de l’écoute. Entre Bach et son père, entre les prières et la surdité des dimanches, le voici qui médite : « La poésie est don de lire la vie. Est poétique toute concentration soudaine du regard sur un seul détail, que provoque notre désir enfantin de ne jamais mourir. »
À l’affût, c’est bien le mot de ce recueil tendu vers le siècle actuel, non sans nostalgie, mais surtout faufilé à l’aune de la rigueur et de la détermination. Le style ample et souple de ces proses lyriques donne à voir la fragilité d’un auteur en proie à la stricte conscience du vivant : « L’écriture est résurrection et l’oiseau, dans la cage rouge aux barreaux d’os, chante. » Ce coeur-muguet offert par le père mort vibre.