Ritournelle de la faim J.M.G.Le Clézio
« J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans » : c'est par ces mots discrets, qui précèdent tout juste le point final, que s'achève Ritournelle de la faim
En ces pages ultimes, la jeune héroïne du roman de J.M.G. Le Clézio, Ethel, vient de quitter soudain la sphère de l'imaginaire pour, en quelque sorte, prendre pied dans le réel et s'incarner – si elle n'est véritablement la mère de l'écrivain, du moins cette dernière at-elle directement inspiré ce sombre et beau roman d'apprentissage, drapé d'ombre comme si pesait sur lui une gravité indéchirable, un irréductible chagrin.
Paris, début des années 1930. Ethel est une enfant, elle vit du côté de Montparnasse, auprès de ses père et mère, tous deux d'origine mauricienne. Mais le couple va à vau-l'eau – comme court au désastre tout le petit monde bourgeois médiocre qui gravite autour de la fillette. Un monde qui vit en vase clos, rumine ses rancoeurs et ses exécrations – contre les Juifs, les étrangers, les « métèques »... Lorsque, à l'adolescence, Ethel se découvrira spoliée, ruinée financièrement et moralement salie, devra-t-elle leur en vouloir, à ces « fantômes humains qui s'étaient jetés dans la gueule du loup, [...] qui avaient gobé tous les mensonges de l'époque » ? Mais alors la guerre est là et, exilée à Nice, portant à bout de bras ses parents défaits, Ethel n'a pas l'énergie d'entretenir une telle haine, concentrée qu'elle est sur sa survie, ses rêves d'un avenir délesté du passé... Ce passé nauséeux, l'écrivain le fait ici revivre avec une intensité peu commune, confiant à la vigoureuse figure d'Ethel le soin d'éclairer le tableau, d'en disloquer un peu la noirceur, à défaut de la dissiper.