Avant de brûler .La viduité
Apocalypse des fantômes, des souvenirs ; accueillir les vivants, les revenants, leur inventer des vies : survivre à l’écoute, dans l’enregistrement des altérations, dans le contact des sylvestres efflorescences. Roman envoûtant, inventif, Avant de brûler rejoue les codes du roman apocalyptique et ceux de l’éco-poétique pour spéculer sur le souvenir et la perte, deuil et mémoire, poésie et attention à un monde qui se noie et brûle. Virginie DeChamplain s’approche au plus près des sensations éperdues de son héroïne, ses inquiétudes et reconstructions, la subsistance de la beauté qui offre à son roman un au-delà d’une destructrice survie, un effarement animal pour se massacre dont personne ne réchappe.
On se demande, dans l’aléatoire de nos lectures si nous ne sommes pas arrivés à un épuisement du roman apocalyptique, si le pessimisme, sa résignation hélas aussi, d’une époque, ne commençait pas à se rappeler à l’utopie, à l’enthousiasme, du moins à la non-acceptation de ce monde que, si consciencieusement, nous continuons à ravager. Comme le très beau Devenir nombreux de Pierre Terzian, sans doute n’est-ce pas tout à fait un hasard si ce renouveau du genre nous vient du Québec. Attention cependant, Avant de brûler est très loin d’être un roman optimiste : jamais il n’occulte les catastrophes écologiques dont – submergés par les idiots replis nationalistes, leur préservation du statu quo et des dominations économiques par l’entretien de la peur de l’autre – nous oublions la certitude. Virginie DeChamplain parvient à nous en donner plusieurs visages, autant de variations à cette fin du monde multiple et intime dont son roman si habilement, joliment, rend compte. « Gaspésie, fin des terres. », la narratrice raconte les Déluges. Suite ininterrompue d’inondations et de raz-de-marée ; visages très clairs, nous disait Reus 2066 de Pablo Martin Sanchez. Une vague emporte celle qu’elle aimait, les souvenirs tournoient, reviennent, se recomposent en fragments. Peut-être n’est-il plus temps de se lamenter, sans doute pourtant de continuer que nous sommes nos souvenirs. « J’habite dans la vie d’aujourd’hui, peuplée de la vie d’autrefois. Les images et les sons des deux époques se superposent, leurs contours flous ondulants comme quand on lance une roche dans l’eau. » Avant de brûler est aussi récit de recomposition sauvage, à l’écart. On continue à composer avec les présences, avec la possibilité de survie. Cet autre mode de vie, bien sûr, rappelle le nôtre, celui qu’il pourrait être dans ce détachement que commande la perception, dans ce dénuement collectif, par écart et solitude, avec lequel il va falloir, qui sait, nous apprendre à faire. Avec Marco, présence brute qui entretient le délabrement, en marge d’un village, la narratrice subsiste, vend des fleurs, entretient un marginal commerce avec le village, un rapport aux autres sensible à son incompréhension. Ce que semble nous suggérer le roman serait sans doute que l’apocalypse est celle de chaque instant, sans trêve notre vie compose avec la catastrophe, se reconstruit à partir d’une perte perpétuelle. « Depuis, j’écris des choses vraies. » Virginie DeChamplain accumule, disperse plutôt, les très belles notations, les fragments, les poèmes : exactitude de la perception. La littérature, nous continuons à être travaillés par cette idée, invente des refuges : « Et je me dis que c’est peut-être ça, dans le fond, le but. Se bâtir quelque part où on peut rentrer et descendre ses épaules. » Matrice et tombeau, aucun idéalisme, une cabane transitoire avant que tout, comme la langue d’une oralité incandescente de l’autrice, continue à brûler.
Farah a réalisé, l’autre fois, le nez dans la partie grammaire de son dictionnaire, que le présent du verbe être et suivre à la première personne du singulier c’est le même mot au final.
Nos refuges sont romanesques inventions, fictives variations, des pistes comme le recompose si bien Perrine Le Querrec dans son beau livre éponyme. Mystère de l’altérité, contact à ce qui échappe dans la langue, rappel aussi de la nécessité d’un accueil inconditionnel. Classiquement, au-delà de l’amnésie, l’histoire commence par l’intrusion d’une étrangère, Farah. Je persévère à penser qu’un bon roman met en jeu la réalité qu’il décrit, atteint peut-être ainsi à l’informe du réel. L’oralité de la langue de Avant de brûler donne à entendre l’urgence, la répétition, de notre désir de sens. La narratrice invente des vies à Farah, recompose sa catastrophe, lui propose de temporaires issues. Des personnages, un Sam épicène, le désir qui fait notre humanité, ce qui de nous doit survivre. « Je crois que j’avais oublié que moi aussi j’étais en vie. » ce qui rappelle ce qui est sans doute la finalité de ce magnifique roman : « Je note parce qu’il n’est pas question que je me fasse encore surprendre par la fin du monde. » Continuons à entendre nos fantômes, les présences en lisière, cette biche qui regarde les deux femmes, le feu qui encore couve. Un très beau roman sur la destruction qui nous anime. Les catastrophes, nous demande alors Virginie DeChamplain, on s’en souvient ou on les prédit.






















