Lafon Marie Hélène
Marie-Hélène Lafon est née dans le Cantal en 1962.
Depuis 1980 elle vit à Paris où elle enseigne les lettres classiques.
Ecrire ça commence comment ?
J’ai attendu longtemps. J’avais trente-quatre ans, c’était à l’automne 1996, et j’ai eu le sentiment de manquer ma vie, de rester à côté ; j’étais comme une vache qui regardait passer le train et les vaches ne montent pas dans les trains. Je me suis assise à ma table et j’ai commencé à écrire « Liturgie », le texte court qui donne son titre à mon deuxième livre publié. Je suis montée dans le train de ma vie, et n’en suis pas redescendue depuis. Non pas qu’écrire soit toute la vie, toute ma vie ; mais je dis volontiers qu’écrire est pour moi l’épicentre du séisme vital ; ou que je ne me sens jamais exister aussi intensément que quand j’écris.
Je dis aussi que j’écris à la lisière, en lisière. C’est d’abord sociologique ; je viens de loin, d’un monde, une famille de paysans du Cantal, où le livre existait peu, où, à l’exception d’une grand-tante restée vieille fille, la tante Jeanne, personne, jusqu’à ma sœur et moi, n’avait fait d’études, où, en d’autres termes, il n’allait pas du tout de soi d’entrer en littérature, d’abord avec les livres lus, ensuite avec ceux que l’on tend à écrire et que, je le constate, on écrit et publie, on étant indéniablement moi. Lire des livres pour étudier, pour avoir un métier, pour devenir par exemple fonctionnaire, professeur, comme ma sœur et moi l’avons fait, est licite, voire encouragé ; un tel parcours, bien que courant dans les années soixante-dix, peut même passer pour un objet de fierté ; mais écrire des livres, c’est une autre affaire, ça sépare, ça échappe. Je suis dans cette échappée, cette séparation du lieu d’origine sociale et culturelle, Par ce fait même, je suis à distance, je reste à distance aussi du milieu d’accueil, dirais-je, celui dans lequel se passe ma vie, ici et maintenant ; c’est l’apanage des transfuges sociaux, d’où qu’ils viennent. C’est ce que j’appelle être à la lisière, entre deux mondes, en tension entre deux pôles, tension féconde et constitutive, je le crois, de l’écriture.