"Falaise des fous", le grand roman qui raconte Claude Monet et sa bande
Ici, les personnages s'appellent Courbet, Boudin, Monet, Flaubert, Maupassant. Une belle fresque signée Patrick Grainville. Ce roman, c'est un tableau imposant, long de soixante années. Le décor? La Haute-Normandie, entre Fécamp et Etretat, les chemins menant parfois jusqu'à Rouen et au Havre. Les personnages? Ils s'appellent Courbet, Boudin, Monet, Flaubert, Maupassant. On aperçoit la silhouette du jeune Marcel Proust. Dans le ciel on va entendre les pétarades du petit coucou de Blériot, et puis ce sera le «Spirit of Saint-Louis», avant qu'il se pose au Bourget, un jour de mai 1927. On le sait déjà : le monde est petit. Mais quelquefois des romans viennent lui donner une autre épaisseur, une autre ampleur. Né dans le Calvados (à Villers-sur-Mer) en 1947, Patrick Grainville n'a pas craint de se jeter à l'eau. Comme Courbet qui, lors d'un séjour à Dieppe, se vantait auprès de l'un de ses amis d'avoir pris «quatre-vingts bains de mer» en quelques jours, l'auteur des «Flamboyants» (prix Goncourt 1976) et d'une quarantaine de livres en tout s'est rué sur le motif pour peindre ce grand roman.
Ce que nous devons aux impressionnistes
La fiction, dictée par un narrateur affable et amoureux, y épouse une réalité féconde (l'explosion de la scène littéraire et artistique), parfois violente, comme l'affaire Dreyfus, parfois obscène, comme la terrible agonie de Manet. Rien de l'époque ni de ses enjeux n'échappe à la vigilance de Grainville: sans jamais laisser tomber la petite machine du roman (l'intrigue, le suspense), il construit une fresque sensible, dominée par le personnage de Monet, depuis ses jeunes années face aux falaises d'Etretat jusqu'aux pierres de la cathédrale de Rouen – ces pierres où le regard se noie, où la couleur se dérobe. Le chant ultime étant celui des «Nymphéas», ce grand œuvre qui, chez le narrateur, suscite, «tantôt de la stupeur, de l'effroi, tantôt une sérénité extatique».
Pourquoi les tableaux célèbres sont-ils célèbres ?
Roman d'une âme sensuelle et passionnée, la «Falaise des fous» est une de ces chroniques comme on n'en lit plus guère, habile tapisserie où l'art de la peinture apparaît pour ce qu'il est: le miroir prodigieux d'un monde réinventé. Boudin nous a appris à regarder les nuages, Courbet à sonder la fureur des vagues (sa série de marines réalisées sur la côte normande), Monet à nous plonger dans la couleur, cet infini. Patrick Grainville, lui, nous invite tout simplement, dans le plus somptueux des royaumes: celui du roman, retrouvé
Bernard Geniès Bibliobs