Une jeune paysanne apprend à écrire et relate son calvaire dans des carnets.Telerama
Né d’aucune femme aurait pu être un scénario pour Luis Buñuel, ou un cauchemar d’Octave Mirbeau. Ou encore un condensé des textes gothiques ou fantastiques dans lesquels châteaux et monastères dessinent d’inquiétantes silhouettes. Mais ce roman de Franck Bouysse, auteur du xxie siècle, dépasse le genre convenu et s’aventure au-delà des codes littéraires. Il contient à la fois tout ce dont la vilenie humaine est capable et la rédemption en laquelle la tendresse et l’amour peuvent faire espérer. Gabriel, un jeune curé, est sollicité par une femme pour bénir le corps d’une défunte dans un ancien couvent chartreux reconverti en asile. Dans l’intimité du confessionnal, elle lui indique que, sous la jupe du cadavre, il trouvera deux cahiers dont elle lui fait promettre la lecture. Ce sont les carnets de Rose.
Celle qui les a écrits est une jeune paysanne d’une famille pauvre que son père, dans un moment de folie, vend comme bonne à tout faire à un hobereau, le maître de forges. A 14 ans, elle quitte ainsi ses parents et ses sœurs, emmenée de force dans un château où cohabitent l’homme et sa mère, une marâtre dont la haine transpire jusque dans les rares sourires. La seule personne qui lui apporte quelque réconfort est Edmond, le palefrenier. Le reste du temps, elle subit la cruauté du châtelain dont elle détaille les vices dans son journal intime. « Sûrement que personne me lira jamais », note Rose, qui pourtant apprend à écrire comme pour laisser un témoignage sur ceux dont elle est le jouet. Les mots, elle les apprend en lisant le journal en cachette, elle en devine la musique, les plus compliqués dont le sens lui échappe étant pour elle des « magiciens » pouvant conduire au rêve, seule liberté qui lui est permise. Diariste autodidacte, Rose sait décrire ses sensations et ses douleurs, débusquer la poésie dans la nature sauvage. Beau et cruel, ce roman est d’abord un hommage à tout ce que les mots sont capables d’exprimer.
Gilles Heuré Telerama