Dernière nuit à Twisted River. John Irving
On savait que John Irving était un formidable raconteur d'histoires et un inventeur de personnages hors pair. Mais il est aussi un virtuose de la construction romanesque. Pendant les premières pages de ce livre, on se demande où diable il veut nous conduire, avec cette histoire de bûcherons canadiens qui met du temps à démarrer. On croit le maître en mal d'inspiration... Erreur : il joue avec son lecteur pour mieux le surprendre. Dominic Baciagalupo, dit le Cuistot, a un fils, Danny. Ensemble, ils cuisinent, vivent au milieu des draveurs, qui conduisent les trains de bois sur les rivières périlleuses. Un jour, voyant son père allongé sous une forme énorme et velue, le fils le croit dévoré par un ours, qu'il tue à coups de poêle à frire. En fait, l'ours en question est une Indienne de 120 kilos, qui chevauche amoureusement le père. A la suite de cette malencontreuse bévue, père et fils doivent fuir la vengeance obstinée de Cow-Boy, un crétin aviné et tabasseur de femmes qui est aussi shérif adjoint du comté de Coos. Ils vont alors de ville en ville, changeant d'identité, protégés de loin par Ketchum, un homme des bois, chasseur d'ours, de chevreuil et, accessoirement, de « connards », épithètes qu'il distribue généreusement. Irving se régale, fait des clins d'œil à ses livres précédents, couvre trois générations de l'histoire des Etats-Unis, du Vietnam à Bush Jr. Son roman est en outre une superbe réflexion sur le métier de romancier et sur le rapport insaisissable entre fiction et réalité. Il faut plonger dans ce livre, admirer la danse des élans, écouter les voix de ses personnages incroyables et, de loin, saluer les classiques qu'Irving cite avec une amicale complicité. Le 12/02/2011 - Mise à jour le 18/09/2013 à 17h38 Gilles Heuré - Telerama n° 3187